Opération LePasClerc.

Temps de lecture : 3 minutes. Lorsque j’ai vu passé l’offre publicitaire de E.Leclerc,  elle m’a inspiré des choses. Puis j’ai laissé passé mais lorsque mon collègue Martial Bouilliol a lui-même publié un article à ce sujet, je me suis dit que c’était l’occasion de « regards-croiser ». Une thématique vue par l’un et par l’autre, l’un ancien publicitaire et l’autre, moi, hypn0tiseur, tous 2 profondément contre la propagande…

L’article de Martial Bouilliol est ici.

Bref rappel de la situation. Un prospectus de Leclerc mentionne le fait qui si on le rapporte en magasin, il sera recyclé et 0,02€ seront reversés à une œuvre Recherche Alzheimer. Avec un maximum de 3 prospectus par personne et par semaine. Et si ce sont ceux d’une autre enseigne qui sont rapportés, pas de centime reversé mais recyclage quand même.

Il s’agit évidemment pour Leclerc de se racheter une conduite écologique, de distribuer des prospectus en se montrant responsable. « T’approuves mais tu regrettes, c’est ton côté socialiste. » disait Bénabar. Mais regardons de plus près…et interrogeons les détails. Car souvent, le diable est dans les détails.

Acte préparatoire de votre engagement

Une ambition purement philanthropique dicterait que Leclerc fasse purement et simplement un don à l’institution. Ce n’est donc pas cela. Une ambition écologique forte aurait abouti à la non-impression du prospectus. Cela aurait peut-être même ouvert une brêche, dans un le monde concurrentiel et chasseur de coût des distributeurs de masse. Mais l’une comme l’autre des solutions ne donne pas les mêmes dividendes que l’opération en question. Qui remarque un prospectus manquant dans une liasse toujours trop grosse ? Et le logo « Soutien la cause X » ? Banal. Cette opération est beaucoup plus fine.

D’abord, elle change le prospectus. Ce n’est plus un déchet non sollicité, c’est un don potentiel. Comme l’indique l’image accompagnant, ce n’est plus un papier roulé, c’est un microscope. Cela redonne littéralement de la valeur à ce papier que vous détestiez. Et cela vous donne une forme de responsabilité : Vous avez un moyen de faire un don, d’aider, quels que soient vos moyens. Vous seriez un peu salaud de refuser…

Et ceci vous pousse à poser un acte : Aller chez Leclerc rendre votre prospectus. Voire même, avant cela, à fouiller les prospectus de votre immeuble pour en trouver 3. Quite à aller chez Leclerc autant que ce soit pour quelque chose. Mais ceci est une action préparatoire typique de celles qu’on trouve dans une séquence d’engagement. Une fois chez Leclerc pour rendre votre prospectus… Autant que ce soit pour quelque chose..! Combien de personnes vont se déplacer seulement pour rendre l’odieux papier ? Surtout que la limite à 3 prospectus rapportés par personne et par semaine limite les actions de militance qui consisteraient à rapporter les tombereaux de papiers que l’enseigne nous a déversé dessus, action qui retournerait l’affaire au profit des asso antipub.

Leclerc Big Data

Et l’acte suivant de la séquence nous est soufflé au virage de la première phrase. Il faut pour pouvoir rapporter ses poubelles, scanner sa carte de fidélité. Il faut donc en avoir une. 2 cas.

–Soit vous en avez déjà une et la chaine de supermarché rajoute ainsi une ligne d’information à votre profil de consommateur. (Vous avez rapporté les pub. Je ne sais pas à quoi ça peut servir mais c’est un filtre de data comme un autre.)

–Soit vous n’aviez pas de carte et l’action préparatoire de fouiller vos poubelles aura très probablement pour effet de vous la faire prendre une fois devant le comptoir.  Avec tout ce que cela signifie de transmission de donnée. Au cours de vente des données d’un prospect qualifié (Quelques euros.), l’opération est assurément un succès financier.

Gros panier et champignons

Ajoutons que la tâche préparatoire de trier et de rapporter le prospectus est compatible avec une séquence d’événements qui, suivant des conclusions d’études de psychologies sociales, aboutirait à un panier moyen supérieur à celui d’une personne n’ayant pas rapporté le papier. Tout dépend des actions que poseront les employés de l’enseigne au moment de votre « bonne action ». (Un étiquetage, un bon d’achat « surprise », …) De celles-ci, nous ne savons rien mais elles sont plausibles. Cette opération à 2 centimes est, au minimum, le moyen de vous attirer en magasin. Voilà à quoi ressemble une tête de gondole dans un monde pétri de mauvaise conscience écologique instrumentalisée.

Mais le fait que la « promo » par le contre don ne concerne que les prospectus de la marque aura un autre effet. Celui que dans la pile de prospectus de votre entrée d’immeuble, vous allez rechercher et sélectionner le logo de l’annonceur comme un champignon dans les fourrés. Le rechercher et non plus le fuir ou le voir avec indifférence. Exercer votre œil à repérer le logo en associant cela avec le sentiment positif de qui fait une trouvaille. Joie de la pédagogie par l’action…

Voilà pour les aspects directement manipulatoires de l’affaire. Mais d’autres questions pourraient être posée à l’enseigne… Que fait-elle, par exemple, des papiers collectés ? Sont-ils revendus pour la matière première? Ou encore remis dans le circuit de distribution pour d’autres personnes ?

Collez un stop pub sur votre boîte aux lettres.

Au final, tout cela est une opération permettant de se faire payer une image écolo-responsable grâce au travail de tri effectué gratuitement par des clients, incités par la même à offrir leurs données et à dépenser plus. Si le diable est dans les détails, l’enfer, lui, est pavé de prospectus de la grande distribution, bordé par des panneaux 4×3 éclairés à toute heure. Ne pas purement et simplement refuser la publicité, c’est la garantie qu’elle fera tout pour faire grossir la brêche et vous faire l’aimer peu à peu.